Presse - Du côté de chez Maeght

Bonnard, Braque, Chagall, Giacometti, Léger, Miró… Comment un pupille de la nation devint l’ami et le collectionneur mécène de ces géants de l’art moderne ? De Cannes, où il ouvre une imprimerie en 1932, à Saint-Paul-de-Vence où il érige sa fondation – qui fête cette année son cinquantième anniversaire –, Aimé Maeght voua sa vie aux peintres, aux poètes, aux musiciens. Ce destin extraordinaire, Yoyo Maeght le raconte avec toute la passion héritée de son grand-père.

Sabrina Silamo texte et interview

Du côté de chez Maeght_Arts Magazine_Sabrina Silamo texte et interview

 

Arts Magazine : Après Maeght : la passion de l’art vivant et La Fondation Marguerite et Aimé Maeght, L’art et la Vie, c’est la troisième fois que vous racontez l’histoire de votre famille. En quoi cet ouvrage diffère-t-il des précédents ?

Yoyo Maeght : Dans mes deux premiers livres, j’ai retracé l’histoire des Maeght côté public : l’imprimerie, la galerie, les œuvres, les artistes, la Fondation… Cette fois, je la fais vivre côté privé. Je raconte mes souvenirs. Non pas ceux recueillis à travers des confidences, car très souvent ceux qui ont connu Aimé Maeght évoquent ce qu’il a fait (c’est-à-dire son palmarès) et non pas qui il était. Pour le découvrir, et comme je suis plutôt pointilleuse, j’ai passé des heures à étudier des journaux cannois ou niçois d’avant-guerre, écouter des documents sonores ou visionner des vidéos retrouvées auprès de collectionneurs, de la bibliothèque du centre Pompidou ou de l’Ina. Une fois toutes les pièces du puzzle rassemblées, j’ai découvert pour quelles raisons les artistes ont aimé cet homme.

On insiste toujours sur la confiance d’Aimé Maeght envers ses artistes.

C’est vrai. Il soutient Giacometti alors que personne ne veut de lui. Et chaque exposition qu’il consacre au sculpteur se solde d’ailleurs par un échec retentissant… Mais il faut ajouter que s’il fait confiance aux artistes, ils le lui rendent bien. Quand Ella Fitzgerald chante à la Fondation, le jour de l’inauguration en 1964, mon grand-père n’a pas encore fait ses preuves. Ce n’est qu’un galeriste qui édite une revue, Derrière le miroir, et de beaux ouvrages. Cependant, il convainc cette célèbre chanteuse de jazz de venir à Saint-Paul-de-Vence, village situé dans une région qui n’est pas encore connue pour ses festivals hormis celui d’Antibes.

D’où tire-t-il sa puissance de conviction ?

De sa passion. Son moteur principal était de s’éloigner le plus possible de la tristesse de son enfance et des horreurs de la guerre, de la perte de son père, disparu en 1914-1918, et de celle de son fils, Bernard, mort en 1953 à l’âge de 11 ans. Sa deuxième motivation : éblouir sa femme. Or, Marguerite rien ne la bluffe ! Elle est tellement sûre que son mari réalisera de grandes choses. J’admets pourtant qu’il devait être insupportable : il avançait trop vite, sans jamais prendre le temps d’expliquer ce qu’il faisait.

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La communauté d’artistes telle que l’a voulue Aimé Maeght à Saint-Paul-de-Vence, entouré de Bonnard, Matisse, Calder et tant d’autres, existe-t-elle encore ?

Non. Pour vivre, une communauté a besoin d’un animateur, et les choses ont bien changé. Peut-être même que le monde de l’art arrive à un tournant. Quand on est obligé d’appeler à la rescousse un rappeur Pharrell Williams (commissaire de l’exposition « Girl », à la galerie Perrotin, à Paris en juin dernier, ndlr) pour faire parler d’une exposition, c’est que l’art ne se suffit plus à lui-même. Quoi qu’il en soit, à Saint-Paul de-Vence, Jean-Louis Prat, qui dirigea le lieu trente-cinq ans durant, n’a pas réussi à fédérer des artistes qui désormais sont sollicités de toutes parts. Ils y présentent leurs œuvres, en font don parfois, mais n’ont plus envie d’appartenir à une communauté. Reste la Fondation imaginée par des artistes, avec son atelier et sa bibliothèque, la Cour Giacometti, le Labyrinthe Miró, les mosaïques de Marc Chagall et de Braque, la Fontaine de Pol Bury, et la formidable relation établie entre l’œuvre d’art et le visiteur.

Vous avez démissionné de votre poste d’administratrice de la Fondation. L’héritage était-il trop lourd à porter ?

Il n’est pas si lourd à porter, et il est formidable à partager. Avec ce livre, j’ai passé le témoin, je ne suis plus la seule détentrice de cette histoire, et je me sens libre de me consacrer à mes projets personnels. J’ai une passion pour l’architecture. Et plus encore pour les architectes, des créateurs qui n’ont pas trouvé leur place auprès du grand public. Un peu comme les photographes, il y a une quarantaine d’années. Ils ont su gagner leur indépendance, établir leur propre échelle de valeur et devenir populaires. J’ai la même ambition pour les architectes. Les rendre accessibles, pas seulement à travers des expositions ou des éditions, mais en faisant comprendre le processus de création de grands hommes comme Oscar Niemeyer, Frank Gehry ou Jean Nouvel.

 

Une famille chic, mondaine et populaire

Rebaptisée Yoyo par Jacques Prévert, la petite-fille d’Aimé Maeght (née en 1959), à laquelle sa mère fit croire qu’elle avait été trouvée sur les marches d’une église, se souvient. Des vernissages animés de la galerie parisienne où se presse le Tout-Paris, des virées dans la Rolls vers « le jardin des climatisations », de l’appartement meublé de chaises Perriand… comme de Braque travaillant en bleu de chauffe, de la spiritualité d’Ubac, de l’accent russe de Chagall. L’enfant qui a appris « à voir le monde comme Miró », devenue éditrice galeriste- commissaire d’expositions et juge consulaire raconte les joies et les tourments d’une famille « chic, mondaine et populaire ». Un témoignage sur trois générations qui se clôt sur une garde à vue et sa démission de la Fondation. Époustouflant. La saga Maeght, de Yoyo Maeght

 

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