Presse - Aimé Maeght, passeur et mécène
La Fondation Maeght, à Saint Paul de Vence, fait partie de ces endroits qu’il faut avoir visités au moins une fois dans sa vie. Ce musée vivant, imaginé par Aimé et Marguerite Maeght comme un sanctuaire sous les pins, un village dédié à la création construit par l’architecte Josep Lluis Sert, encapsule celui qui l’aborde dans une bulle de sérénité et d’inspiration. À l’entrée, la chapelle saint Bernard décorée par Georges Braque. C’est d’ailleurs cette chapelle qui a déterminé le choix du lieu. Le couple Maeght avait eu en effet un garçon prénommé Bernard, emporté prématurément par une leucémie. L’édification de la fondation s’est faite au cours des années de deuil avec l’aide des amis d’Aimé et Marguerite, dite Guiguite : Miro, Picasso, Braque, Prévert, les frères Giacometti et bien d’autres. Celle-ci fut inaugurée le soir du 24 juillet 1964 par André Malraux, secrétaire d’État à la Culture. Trois fillettes, cheveux tirés, en robes blanches, en avaient remis les clés au ténor de la Ve République. Trois sœurs : Isabelle, Florence et Françoise, les filles d’Adrien Maeght et petites-filles des fondateurs.
C’est Françoise, dite Yoyo, aujourd’hui magistrat, qui prend la plume pour raconter ce que fut la vie à l’ombre de ces grands-parents gigantesques dont les intimes étaient les génies de leur époque.
Adrien Maeght, son père, a apparemment du mal avec l’image monumentale d’Aimé, visionnaire flamboyant autour duquel gravitent les plus grands artistes du monde. Lui se passionne pour les voitures de collection et tente de vivre en marge de la tentaculaire entreprise familiale, tout en gérant les précieuses éditions lithographiées de la galerie Maeght. Ses trois filles auxquelles se joindra plus tard un garçon, Jules, appartiennent en quelque sorte à leurs grands-parents. Plus Adrien s’éloigne, plus ses enfants sont présents aux côtés d’Aimé et Guiguite. Les filles sont de tous les vernissages. Aimé les initie à ses passions. Avec Guiguite, rencontrée à ses débuts, au temps où il était encore artisan imprimeur et brillant lithographe, il forme un tandem uni et complémentaire. Armée de son bon sens rural, celle-ci le suit dans toutes ses aventures et le soutient dans l’adversité, même si elle se sent parfois dépassée par ses extravagances. Ainsi, Yoyo relate cet épisode savoureux où, en 1947, la galerie Maeght avait organisé une exposition dédiée au surréalisme. Guiguite est effarée par « toutes ces choses contre la religion. » Et Yoyo de citer cette grand-mère pittoresque : « Je ne suis pas bigote mais j’ai été élevée dans la foi chrétienne, ça me troublait beaucoup, j’étais effrayée, ils vont nous porter malheur ». Et Guiguite de se faire porter de l’eau bénite de Saint-Augustin et, branche de buis à la main, d’en asperger toute l’exposition ! « Breton, Miro, Matta, Brauner, Bellmer et les autres ont tant ri devant ce qui était finalement involontairement l’acte le plus surréaliste de l’exposition : Guiguite bénissant leurs œuvres. »
Yoyo Maeght raconte aussi l’immense appartement d’Aimé, avenue Foch, à Paris, où elle jouait à empiler des chaises de Charlotte Perriand. Ces après-midis-là, au retour de l’école, étaient marqués par une traversée de Paris à bord de la Rolls d’Aimé pour aller rendre visite à Braque, à qui Yoyo un jour offrit des crayons de couleurs. « Pour faire des Miro », lui avait-elle recommandé, croyant que « Miro » n’était que le synonyme d’un beau dessin. Sauter sur les genoux de Miro, justement, partager le clavier de Duke Ellington à six ans, jouer avec Prévert, couler dans la piscine de la Colombe d’Or et faire plonger à son secours Simone Signoret en tenue de soirée… Une enfance exceptionnelle ponctuée d’épisodes savoureux, mais aussi, hélas, après le décès de Guiguite puis d’Aimé, les péripéties judiciaires d’un héritage immense à la fois dispersé et empoisonné par l’indivision, font de ce témoignage un récit captivant qui invite le lecteur dans l’intimité de l’art du XXe siècle.
Par Fifi Abou Dib
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