La série Gaudi de Joan Miró « Le manifeste d'une vie »

Yoyo Maeght, commissaire d'exposition et petite-fille d'Aimé Maeght, dont la célèbre fondation de Saint-Paul-de-Vence fut le refuge des plus grands artistes d'après-guerre, trace ici le portrait d'un Miro créateur enthousiaste de 85 ans. Avec la complicité de Joan Barbarà il grave la série Gaudí, que le musée conserve dans son intégralité « Plus que des estampes, précise-t-elle. Un manifeste. »

 Yoyo Maeght et Joan Miró à la Fondation Maeght en juillet 1966

Un été de 1966, à Saint-Paul-de-Vence, j'avais alors 7 ans, je marchais dans le merveilleux jardin de mon grand-père, Aimé Maeght, au côtés de Miró Il se penche vers une tomate toute tordue, il la scrute, m'en montre la beauté, la cueille cette tomate difforme sera reprise en bronze par Miró et symbolisera la femme et la fertilité dans une de ses sculptures.

Les liens de Miró avec Aimé Maeght datent de 1946, un an après l'ouverture de sa galerie : mon grand-père lui confiera en 1947 la conception de l'affiche de « l'exposition internationale du surréalisme », une lithographie originale, technique que maîtrisait parfaitement l'Espagnol. Dès cette première colla-boration, l'entente, je dirais même la complicité entre les deux hommes est parfaite malgré les treize années qui les séparent. Une exposition Joan Miró est aussitôt programmée par Aimé Maeght, elle sera accompagnée de l'édition d'un Derrière Le Miroir, grand fascicule où sont réunis créations lithogra- phiques de Miró et textes originaux de Tzara, Hemingway, Eluard, Queneau, Desnos, Leiris.

C'est dans l'amour instinctif de l'art qu'Aimé Maeght et Joan Miró sont les plus complices. Les mots d'Aimé en attestent, comme dans cette interview donnée à Pierre Dumayet : « Miró travaille comme un médium. Il a cette faculté, justement, de fermer une porte ou de fermer un tiroir, il ferme sa mémoire et, là, il est comme un enfant. Il retrouve cette ingénuité, à tel point que quand il a fait le tableau qu'il appelle Décoration pour la cellule d'un condamné à mort, c'est un immense tableau ou il n'y a qu'un trait qui part en bas à gauche et qui monte avec toutes ces modulations. C'est un seul trait...» 

 

Joan Miro - Série Gaudí, Gaudi XX -1975/79 gravure 94,5 x 78,5 cm - Achat Ville de Castres avec l’aide de l'État et la Région, 2003

 

Miró a 85 ans quand il « attaque » la série et c'est avec la force d'un jeune homme qu'il se met à la tâche.

Aimé Maeght et Joan Miró à la Fondation Maeght,1968.

 Miró sera un ardent défenseur de la République lors de la guerre civile espagnole. Les franquistes vainqueurs, il n'exposera plus en Espagne. Quand Franco, affaibli, abandonne en 1973 une partie de son pouvoir, c'est pour Miró le signe qu'enfin il peut rentrer dans son pays. Il a 80 ans. Aimé Maeght décide alors, avec panache, d'installer une immense Galerie Maeght, bien plus grande que celle de Paris, dans deux palais gothiques du Barrio Gótico, quartier malfamé. Le diner de vernissage a lieu sous les piliers du pare Güell, dessiné par l'architecte catalan tant admiré par Miró, Antoni Gaudi, considéré comme dégénéré par le pouvoir franquiste...

Qu'ont en commun ces Catalans ? Sans hésitation, tous deux puisent leur inspiration dans la nature, le végétal, le vivant. Avec son entrée à la Galerie Maeght, en 1947, Joan Miró dispose de tous les outils nécessaires à la création. À Paris, une fonderie pour ses bronzes et un large espace réservé au sein de l'imprimerie ARTE où toutes les techniques sont pratiquées.

À Tarragone, en Espagne, une manufacture lui permet de créer ses monumentales tapisseries.

 À Saint-Paul-de-Vence, un atelier de céramique et des presses l'accueillent chaque année. C'est avec Joan Barbarà que Miró retrouve en Espagne l'odeur magique des encres et le bruit chantant des presses taille-douce. L'amitié qui lie l'artiste et le graveur est née à Paris à la faveur du livre A toute épreuve, de Paul Éluard, contenant cent xylographies de Miró, tirées en 1958 par Joan Barbarà, Artisan de génie, imprimeur, graveur mais aussi artiste Barbara met sa technique et son tout nouvel atelier de Barcelone au service d'Aimé Maeght, Miró doit et veut « frapper un grand coup », comme il aime dire.

Aimé leur donne toute liberté, alors les deux Joan mélangent, modifient, adaptent ou font évoluer les techniques d'impression : eau-forte, aquatinte, carborundum, pointe-sèche, glacis, collage, ces deux techniciens savent s'affranchir des procédés conventionnels. Miró a 85 ans quand il « attaque » la série et c'est avec la force d'un jeune homme qu'il se met à la tâche.

« Je travaille comme un jardinier », la phrase trouve ici tout son sens. Les voilà au soleil de Palma, où ils ont travaillé sur la série Gaudí dans le bel atelier conçu pour Miró en 1956 par un autre Catalan de génie, Josep Lluís Sert. Cela fait des décennies que Miró sème et déploie son éden. Le temps a œuvré, il peut récolter.

 Pour moi, la série Gaudí est bien plus qu'un ensemble de gravures dans la chronologie des estampes de Miró, elle est un manifeste. Le manifeste d'une vie avec ses chapitres : jeunesse émerveillement, Liberté.

 Yoyo Maeght

 

Joan Miró - Série Gaudi, Gaudi XVII - 1975/79. Gravure,944,5 x 78,5 cm - Achat Ville de Castres et amis des musées 2022

 

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