Thierry Lefort - 7 jours à Clermont

Thierry Lefort à l’ombre des palmiers de Los Angeles

Thierry Lefort / Photo 7 Jours à Clermont

Du 18 janvier au 22 février 2025, la Galerie Louis Gendre, en collaboration avec Yoyo Maeght, présente "De Los Angeles" une exposition de peintures sur toile et papier de Thierry Lefort artiste partageant son temps entre Paris et la Californie.

C’est en collaboration avec Yoyo Maeght, que la galerie Louis Gendre présente pour la première fois à Chamalières, des œuvres sur toile et sur papier de Thierry Lefort.
Né en 1967, l’artiste n’a que 12 ans lorsqu’il saisit crayons, pinceaux et pastels pour réaliser ses premiers dessins et ses premières toiles alors qu’il n’a suivi aucun enseignement spécifique. À 20 ans, il s’expatrie dans la province du Henan en Chine et suit durant trois années, l’enseignement du temple de Shaolin. Durant cette période, il apprend l’art de la calligraphie, puis de retour en France, se forme à la peinture avec Philippe Lejeune, fondateur de l’École d’Étampes. Aujourd’hui Thierry Lefort, peintre internationalement reconnu, auréolé d’un impressionnant nombre de prix, témoigne avec ses œuvres de Paris ou de Los Angeles, « d’une réalité urbaine des plus prosaïques avec la même exigence que Cézanne traitant la Montagne Sainte-Victoire ou Monet ses bassins de Giverny ».

L’interview qui suit, a été réalisée fin décembre 2024, alors que Thierry Lefort s’apprêtait à partir pour Los Angeles pour décrocher California Blue sa première exposition californienne présentée à la Show Gallery, West Hollywood. En parlant de la lumière de la côte Ouest, il n’imaginait pas être le témoin du drame des terrible incendies dévastateurs. Malgré la situation, il a confirmé son retour en France et sa présence à la Galerie Louis Gendre pour le vernissage de l’exposition De Los Angeles les 18 et 19 janvier.

Olivier Perrot  : Vous avez longtemps travaillé en France, en région parisienne notamment et puis vous avez décidé de partir vers Los Angeles. Pourquoi ?
Thierry Lefort : En fait j’avais envie de changer d’air, envie d’une lumière différente. Je savais que le soleil était très particulier et depuis 7 ans maintenant, je travaille 6 mois à Los Angeles et 6 mois à Paris, mais, même quand je suis à Paris, je travaille aussi sur le thème Los Angeles. J’avais aussi envie de voir une architecture différente, un peu comme quand on est enfant et que nos parents nous emmènent en Bretagne. Tout d’un coup, on voit des toits en ardoise et l’on se dit tiens, je n’ai jamais vu ça, c’est nouveau en fait… à Paris, il n’y a que des toits en zinc ou en tuiles rouges… et quand on arrive à Los Angeles, on voit des trucs nouveaux, on est un peu comme un enfant devant de nouvelles choses.

O.P : Les ombres sont très présentes dans vos compositions, vous leur accordez beaucoup de place.
T.L : Il y avait déjà tellement de peintres qui s’occupaient de la lumière que je me suis dit qu’il fallait les laisser travailler sur la lumière. Comme la place était déjà prise, je me suis occupé des ombres. En peinture, disons traditionnelle, les ombres sont toujours très fluides, il n’y a pas beaucoup de matière. Il y a surtout des empâtement et de la matière sur la lumière, alors, je me suis dit je vais faire l’inverse, je vais empâter sur les ombres et je vais essayer de travailler des espèces de nuances de bleu qui vont donner une résonance particulière à la lumière. En travaillant davantage sur les ombres, je me suis rendu compte que ça donnait en fait, encore plus de lumière, comme si je ne m’étais attaché qu’à la lumière.

O.P : Ce bleu justement qui est très présent dans vos tableaux, est-ce devenu votre marque de fabrique ?
T.L : Déjà je me suis concentré sur les ombres qui sont toujours quelque chose de froid, de gris, alors j’ai cherché à ma manière, à amener des ombres par rapport aux autres couleurs et c’est tombé sur cet espèce de bleu qui n’est jamais pareil, parce que je fais toujours des mélanges, un peu à l’instinct, donc le bleu s’est imposé pour les ombres, cela me correspondait bien. Cela va d’un bleu presque noir parfois, vers un bleu un peu plus bleu

Rue de Los Angeles - Thierry Lefort

« Petit à petit, j’ai supprimé et supprimé pour retrouver ma couleur »

O. P : Vous avez suivi une formation auprès de Philippe Lejeune de l’École d’Étampes. Ce dernier ne vous a-t-il pas contrarié sur la question de la couleur ?
Thierry Lefort : Comme je suis un peu discipliné, cela vient de mon séjour en Chine, quand je suis avec un maître ou quand  j’apprends avec quelqu’un que j’aime bien ou que je respecte, j’écoute ce qu’il dit et c’est finalement normal. Du coup, Philippe Lejeune avait vraiment ce background de peintre de métier puisqu’il avait été dans l’atelier de Maurice Denis, le pape des Nabi quand il était jeune. Donc il m’a beaucoup appris, mais c’était un apprentissage un peu académique, où la couleur était un peu exclue car lorsqu’on apprend à quelqu’un, on a pas à lui apprendre à mettre telle ou telle couleur. Quand on apprend le français à quelqu’un, si on veut qu’il écrive des poèmes, on va lui apprendre à écrire le français correctement, on va corriger ses fautes d’orthographe, mais ce qu’il a à raconter on ne peut pas le dire.  Et Lejeune ne pouvait pas me dire « prends telle et telle couleur ». Donc, je suis resté à travailler avec lui sur les fautes d’orthographe et quand je l’ai quitté, petit à petit j’ai retrouvé mon sens. Quand on cherche sa personnalité, on commence à se passer des choses que l’on a apprises pour trouver son propre moyen d’expression. Petit à petit, j’ai supprimé et supprimé pour retrouver ma couleur, mais avec le métier que j’avais appris.

O.P  : Et vous avez fini  par retrouver la couleur si importante pour vous ?
T.L : J’avais un grand-père peintre, j’avais aussi deux frères de ma mère qui étaient peintres et disons que quand j’ai commencé à peindre, ce qui m’avait attiré, j’étais petit, vers 13 ou 14 ans, c’était justement la couleur. Je m’en rappelle très très bien parce que j’avais des tableaux chez moi qui étaient colorés et cela m’attirait. Depuis tout petit j’étais attiré par la couleur.

The Invisible kingdom - Thierry Lefort

O.P : Vous aimez citer André Lohte qui disait que le plus dur c’est d’enlever et non d’ajouter…
T. L : Oui oui, parce que lui considérait que quand on avance, on doit plutôt délester et supprimer pour avancer. Il expliquait très bien que quand on est un jeune peintre c’est comme si on était un bateau à moteur dans un port, et avec l’eau de la Méditerranée qui est très sombre, très bleue, le moteur fait plein d’éclaboussures et faisant plein de trucs blancs partout… et il disait que quand on est un jeune peintre on veut éclabousser, alors on en met plein partout, on met des détails, des choses… et quand le bateau commence à sortir du port, plus il prend de la vitesse, plus le sillon se resserre et moins ça fait d’éclaboussures. Pourtant on va plus vite, plus loin. Effectivement, plus on avance, plus on doit essayer de supprimer des choses. C’est vraiment en relation avec ce que j’avais appris en Chine. Par exemple dans les arts martiaux, quand on veut avancer, on doit supprimer tout ce qui est parasite pour garder l’essentiel. Du coup cela me parlait bien.

O.P. C’est ce qui se matérialise avec vos œuvres bleues, monochrome ?
T. L : Oui un peu, avec cette économie de moyens et ce côté très simple d’aborder les choses, d’essayer d’en dire le plus possible avec le moins possible.

Rentrer dans l’intimité des formes et des couleurs

O. P : Si l’on veut qualifier la peinture de Thierry Lefort quel vocabulaire doit-on employer ? 
T.L : Dans cette période c’est vrai que je suis orienté vers le paysage, mais j’ai fait beaucoup de nu et beaucoup de portrait, parce que j’ai travaillé 10 ans avec Philippe Lejeune. Il a fait son enseignement essentiellement sur le portrait et je ne faisais que du portrait tout le temps. Alors aujourd’hui Thierry Lefort c’est qui ? Quelqu’un qui cherche à avancer, à aller plus loin, à rentrer dans l’intimité des formes et des couleurs. De plus en plus, je cherche de nouveaux accords, de nouvelles notes. C’est comme un piano : quand on appuie sur une seule touche, cela fait ding ding, mais si on commence à faire trois notes, l’une derrière l’autre cela fait un accord, c’est que je cherche en peinture aujourd’hui, faire des accords avec mes couleurs, des accords de plus en plus complexes, parce que quand on simplifie on complique ailleurs. Si on simplifie quelque chose il faut compliquer autre chose, sinon on simplifie, on simplifie mais cela n’a pas de sens puisqu’on ne fait qu’enlever. En peinture si on veut simplifier il faut aussi compliquer. Par exemple si on simplifie les détails, il faut peut-être compliquer la couleur. Mais si on simplifie la couleur, il faut peut-être complexifier le dessin et ainsi de suite. Tout cela fait de gros casse-tête et plus cela paraît simple, plus c’est compliqué en réalité.

O.P : Néanmoins, dans vos peintures sur Los Angeles, vous simplifiez avec l’absence de personnages mais vous laissez des choses immuables comme les fils électriques.
T.L : J’ai voulu me passer des personnages dans les paysages parce que soit je fais un personnage qui est en pleine page et qui détermine la forme générale en prenant possession de la composition sur le tableau et tout tourne autour de lui, soit je me passe des personnages dans un paysage parce que je ne veux pas que l’on dise qu’il y a de la vie grâce aux personnages,  c’est trop facile pour moi. Je ne critique pas les tableaux où il y a des personnages, il y en a qui le font très bien, mais je considère que c’est plus intéressant de complexifier au niveau des formes et des couleurs et d’avoir une vibration sans personnage.

O.P  : Vous être un peintre d’atelier ou de sur-place ?
T.L : Avant j’avais tendance à peindre beaucoup sur place, pour m’inspirer du paysage pour attraper les choses avec spontanéité et je me suis rendu compte que c’était un peu comme de l’impressionnisme. Encore une fois je ne critique pas, mais au bout d’un moment quand on fait son tableau sur place on se dit que l’on va capter un moment,  à 3 heures de l’après-midi à peu près. Un bon impressionniste va faire son tableau en trois ou quatre heures… mais au bout d’un moment je considérais que cela avait un peu sa limite. Pour aller plus loin, qu’est ce qu’on fait après ? Hé bien c’est le travail en atelier. Je prends toujours mes croquis sur place mais après, comme je vais plus loin dans les accords de couleurs et que je me prends davantage la tête sur la composition, cela demande un travail plus long en atelier, cela s’impose.

O.P : Cela veut dire qu’il y a aussi un travail de mémoire ou finalement, le moment présent n’est pas si important que cela ?
T.L : En fait ce que je note sur les croquis, c’est les contrastes, ce qui est foncé, moyen, clair et je simplifie cela et après je me dis les palmiers sont foncés et le ciel plutôt clairs ou l’inverse… ce qui m’intéresse vraiment c’est les valeurs et après le temps qu’il fait sur le moment ne m’intéresse pas trop parce que je ne suis plus dans l’impressionnisme, je suis dans un tableau qui va prendre sa place dans la composition, dans les formes et les couleurs et qui se passe d’un moment précis.

O.P : Il y aura quoi après Los Angeles ? Vous l’avez déjà défini ?
T.L : Non il n’y a rien de défini parce que lorsque que l’on me demande lequel de mes tableaux je préfère, je réponds toujours que c’est celui que je ferai demain. En fait je suis toujours sur le lendemain, à me demander comment travailler telle ou telle chose parce que je ne me satisfais pas de ce j’ai fait… jamais, alors vers quoi cela va aller ? Je me pose pas trop de questions, je ne m’en fais pas car je me suis toujours laissé porter par mon instinct et je me dis que quand cela devra changer, il y aura quelque chose en moi qui changera.

Exposition Thierry Lefort – de Los Angeles  du 18 janvier au 22 février 2025, Galerie Louis Gendre, 7 rue Charles Fournier à Chamalières, du mercredi au vendredi de 14h à 19h, le samedi de 10h à 18h.