PRESSE - Yoyo Maeght et la Saga Maeght

Yoyo Maeght et la saga Maeght
Entretien réalisé par Isabelle Dert Bono - Le Cahier du Tourisme en Provence

« Je n’entreprends que ce que je peux réussir. »

Voilà une devise que Françoise Maeght, baptisée Yoyo par Jacques Prévert, porte en commun avec son grand-père, Aimé Maeght. Un grand-père dont elle retrace l’histoire dans un livre émouvant, truffé d’anecdotes, d’artistes et de drames familiaux. La Saga Maeght est un livre sur une épopée artistique unique. Et c’est loin d’être un long fleuve tranquille. Cette famille, qui a illuminé le monde de l’art moderne et laissé un héritage considérable, a forgé une femme atypique. Toujours pieds nus, curieuse de tous et de tout, choyée par ses grands-parents, la petite Yoyo a pour parrains Joan Miró, Pablo Picasso, Marc Chagall, Jacques Prévert, Jean Bazaine, Yves Montand, Alexander Calder, Alberto Giacometti, Georges Braque, André Malraux, ou encore Aragon… Telle une fleur sauvage parmi les rosiers, elle grandit avec les artistes et découvre le monde à travers la vision de ces hommes rares qui inventent l’époque. Aujourd’hui elle leur rend hommage à travers ses souvenirs d’enfance.

Rencontre exclusive avec Yoyo Maeght

Tout commence avec Aimé et Marguerite Maeght, un couple amoureux et partenaire, lui l’optimiste intuitif, audacieux et visionnaire, elle la pessimiste enthousiaste à la logique réaliste et au franc-parler jamais démenti, une alchimie subtile qui leur a permis de bâtir un empire voué à l’art. Leur histoire imprime le XXème siècle. Yoyo Maeght : « C’est pour ma grand-mère que Papy se lancera toute sa vie dans d’ambitieux projets. Il ne prend jamais une décision sans elle… Il exprime toute sa fantaisie dans ses projets. Elle pose les questions pratiques, soulève une à une les objections. Obligé d’y répondre, Papy prend conscience des difficultés de réalisation avant de s’y confronter, et anticipe les solutions. C’est dans ce dialogue qui aura duré 50 ans qu’ils trouveront ensemble les moyens de mener les projets les plus fous. »

Collectionneur, galeriste et éditeur d’art, de livres et de revues, lithographe et précurseur visionnaire, Aimé Maeght est le créateur d’une des premières fondations d’art contemporain en Europe, un chef d’œuvre posé sur les hauteurs de Saint Paul de Vence où la nature provençale sert d’écrin au génie artistique. Né en 1906 d’un père ingénieur des chemins de fer à Hazebrouck près de Lille, il voit son enfance brisée par la guerre. Devenue pupille de la Nation, la fratrie est placée avec leur mère dans une magnanerie du sud de la France. « De nos épreuves on peut tout faire. Lui en a fait des tremplins vers le bonheur. » Adolescent il se rêve artiste et intègre le Conservatoire national des arts et métiers où la chromolithographie deviendra sa spécialité, lui apprenant les valeurs de la peinture. Diplômé à 19 ans, il est passionné d’art, de cinéma, de poésie surréaliste, de photographie et de jazz. C’est à Cannes que le destin frappera à sa porte. Il y débutera sa carrière de chromiste en imprimerie avant d’ouvrir son propre atelier de gravure. Il y rencontrera son grand amour, Marguerite Devaye, qui, à 17 ans, d’une claque lui retournera le cœur et d’un rire deviendra sa partenaire pour la vie. « Papy n’a aucun doute sur le destin qui l’attend, seul le chemin pour réaliser ses rêves reste encore mystérieux. » Il se fait vite une solide renommée de lithographe dans le milieu artistique, aidé en cela par Pierre Bonnard, devenu son ami. « En mon grand-père, Bonnard trouve un fils qu’il n’a pas eu ; en ce grand peintre malheureux, Aimé trouve un père qu’il a perdu. » Le peintre lui présentera Matisse et bien d’autres artistes. Une nouvelle guerre viendra le mobiliser, laissant Marguerite prendre les rennes. Décrochant la vente des œuvres du peintre Pastour, elle transformera leur petite boutique de radio TSF adossée à l’atelier en galerie d’art. A son retour, alors qu’il souhaite rester imprimeur, le succès de la galerie donne une nouvelle direction à leur vie. Au milieu du chaos, la fin de la guerre engendre une période de tous les possibles qu’Aimé et Marguerite embrasseront à bras le corps. Le 6 décembre 1945, la galerie Maeght est inaugurée à Paris, créant l’événement par une grande exposition Matisse. La légende est en marche. Ici s’écrira avec audace un pan de l’histoire de l’art contemporain et de la poésie surréaliste. Chaque exposition est une œuvre d’art mêlant peinture, sculpture et écriture. Signés de grandes plumes, les livrets des vernissages sont des recueils de textes originaux de la pensée contemporaine.

« De nos épreuves on peut tout faire. Mon grand père en a fait des tremplins vers le bonheur. »

La Fondation Maeght, Saint Paul de Vence

En 1953 un drame vient tout bouleverser. La mort du fils cadet de Marguerite et Aimé, Bernard. Les voyant profondément malheureux sans jamais l’exprimer, leurs amis se sentent impuissants. Alors, Georges Braque les incite réaliser quelque chose d’immortel et Joan Miró les invite à traverser l’Atlantique pour visiter d’autres figures de l’art. Il les exhorte à s’inspirer des fondations des grandes familles américaines pour entreprendre une aventure plus grande encore. Naitra l’envie d’un lieu dédié à la création, un site où la nature tutoie l’art et où le génie s’exprime librement. Dessiné par l’architecte Joseph lluis Sert, la Fondation Maeght s’élève sur la colline de La Gardette acquise quelques années auparavant. Inaugurée en 1964, ce lieu incitant les esprits à se surpasser est bâti sans qu’un seul arbre ne soit touché, mettant la nature au service de l’intelligence et de la création. Ce projet fou et totalement atypique éclot sous le soleil de Provence, financé sur leurs fonds propres, avec l’aide providentielle de leurs artistes qui se mobilisent et offrent leur temps et leurs œuvres.

Alors secrétaire d’Etat à la culture, André Malraux en reçoit les clés des mains des trois fillettes, Yoyo et ses soeurs, lors d’une soirée féérique portée par les voix d’Yves Montand et d’Ella Fitzgerald. Avec plus de 10 000 œuvres, ce musée possède une des plus importantes collections d’art du XXème siècle en Europe. Des artistes de premier plan en constituent le fond avec la plus grande toile de Chagall, 62 sculptures de Giacometti et 150 de Miró, des Braque, Calder, Kandinsky, Bonnard… Et elle accueille des milliers de visiteurs chaque année. Saint Paul c’est aussi le temps des vacances, le temps où les petites filles courent dans la garrigue, se baignent dans les criques, et dévalent les ruelles du village avec une floppée de minots en liberté. Ici aussi les artistes abondent et les esprits bouillonnent. Toujours une question sur la langue, Joan Miró dira de Yoyo : « C’est un comble pour moi catalan, elle est accrochée à mes basques ! » Ici aussi les soirées sont prestigieuses, les expositions somptueuses et les enfants au cœur de cette assemblée éclectique. Avec ses sœurs Isabelle et Florence, Yoyo est au premier rang, reçoit aux cotés de ses grands-parents, et tutoie les artistes qui interpellent l’époque.

« La force d'une oeuvre tient à sa dimension spirituelle. »
Aimé Maeght

Sainte Roseline

Très croyante, Marguerite voue une passion à la petite Sainte Roseline qu’elle visite lors de ses multiples pèlerinages dans le Var. La légende raconte que la fille du chatelain local, la jeune Roseline, distribuait du pain aux pauvres en cachette de son père. Prise sur le fait, il lui enjoint de montrer ce qu’elle dissimule dans son tablier. Miracle, des pétales de rose en tombent en place du pain. Morte en 1263, son corps déterré en 1329 est inaltéré et préservé. Mieux, il s’en dégage une odeur de rose. Disparue 280 ans avant d’être retrouvée, son corps sera placé dans cette chapelle des Arcs sur Argens, au milieu des vignes. Alors qu’elle prie la Sainte d’exaucer son vœu d’avoir enfin un petit-fils, Marguerite promet, s’il se réalise, de faire installer l’électricité dans la chapelle où le curé a peu de moyens. Généreuse, elle commencera les travaux bien avant la naissance de l’enfant attendu par Paule et Adrien, les parents de Yoyo, et ira même bien au-delà. Outre la lumière elle y apportera l’art en entrainant avec elle ses amis Ubac et Bazaine qui feront les vitraux, Balenciaga qui créera la robe de la Sainte dont la momie dévorée par les moisissures a été envoyée à d’éminents spécialistes du Louvre pour être sauvée. Diégo Giacometti sculptera un lutrin et les portes du reliquaire, Chagall réalisera l’une de ses plus belles mosaïques monumentales : le Déjeuner des Anges. Et Yoyo eut un petit frère que ses parents prénommèrent Jules.

« Il faut rire pour ceux qui ne sont plus là. »
Aimé Maeght

Le temps des larmes

« Mamy est morte soudainement le 31 juillet 1977 à seulement soixante-sept ans, laissant papy inconsolable. » Aimé la rejoindra dans le petit cimetière de Saint Paul de Vence le 5 septembre 1981, véritable traumatisme pour Yoyo qui a tout juste 22 ans. Viendront ensuite le temps de la succession, des déchirures familiales et des procès. Alors que leur fils Adrien était déjà brouillé de longue date avec ses parents, c’est au tour de la fratrie de Yoyo de se déchirer.

 

Yoyo Maeght - Le travail au service de l'audace 

Vos parents sont les grands absents de ces événements ?
« Un différend dont nous n’avons jamais connu la cause les a éloigné de Papy sans que nous n’en subissions les conséquences. Absents, ils le sont aussi dans notre éducation. Nous avons grandi avec une liberté inconcevable pour l’époque. J’ai plus appris à l’école de la vie que sur un banc de classe. »

Outre la Galerie, votre Grand Père était aussi un éditeur dans l’âme ?
« Oui. Il a édité beaucoup de livres et de revues d’art, notamment la célèbre revue Derrière le miroir, consacrée à ses artistes. Car ce sont ses artistes, leurs liens sont très forts, ils s’accompagnent et grandissent ensemble. Avant-gardiste, il achetait l’ensemble de leur production et les contrats se signaient d’une poignée de mains. »

Vous êtes une véritable autodidacte de l’art, comment travaillez-vous ?
« Comme mon grand-père je choisis l’artiste avec qui grandir, en toute complicité et en confiance. Ce ne sont pas des œuvres que j’expose mais des artistes que je défends, mettant ma capacité de travail et de création à leur service. »

Et comme lui, vos projets sont de véritables événements ?
« Celui imaginé pour Aki kuroda à l’aquarium de Paris m’a demandé cinq mois de travail pour une seule soirée de 600 invités sans une œuvre à vendre. C’est totalement hors-cadre. Cela raconte beaucoup plus sur la fantaisie de l’artiste que n’importe quel livre. Ma galerie est dématérialisée. Quand vous n’avez pas de lieux, il faut utiliser les lieux des autres, des lieux insolites pour des artistes exigeants. »

Qu’avez-vous appris de votre enfance parmi ces adultes atypiques ?
« A remettre en cause les schémas définis et à penser avec des ouvertures d’esprit supplémentaires. De précieux mécanismes que j’emploie tous les jours au service de mes artistes. Le nom de Maeght est un outil formidable qui ouvre des portes. Une fois ouvertes c’est à moi de faire mes preuves ! Je me dois d’être à la hauteur de ce nom. »