.Miró - Le rêveur éveillé
Aimé Maeght et Joan Miro à la Fondation Maeght, 1968
Difficile de dissocier le nom de Miró de celui de Maeght. Plus encore que les autres artistes, Joan Miró a été le proche. «J’ai connu Miró, en 1947, à l’occasion de l’exposition du surréalisme. Tristan Tzara l’a amené chez moi pour que j’édite Parler seul, illustré de lithos de Miró. Il se trouve qu’à ce moment-là, Pierre Loeb, son marchand depuis 1934, qui avait exposé rue des Beaux-Arts sa période sauvage, était prêt à abandonner son contrat. J’ai donc repris et racheté son œuvre depuis 1939.» Sa première exposition, où sont montrées trente-neuf peintures et quarante-neuf céramiques, a lieu dès 1948. C’est, bien sûr, Tristan Tzara qui signe le texte de Derrière Le Miroir : «Joan Miró et l’interrogation naissante». Dès cette première exposition, Maeght le représente. Le marchand et l’artiste ne se quitteront plus. Rarement artiste aura été, sur une aussi longue période, à ce point habité d’une même mythologie élémentaire, d’une même poésie légère, créant un langage étrange et universel. Miró, tout au long de son œuvre, ne cesse d’inventer, de découvrir, tentant même, parfois, d’assassiner sa propre création. Ainsi se permet-il d’abandonner ses conquêtes pour reprendre son chemin vers l’inconnu, au-delà de toute esthétique picturale. Miró est à la fois poète et explorateur. Quand il peint les trois Bleu, il tente d’approcher la beauté du ciel. Rien de plus élémentaire, rien de plus libre.
Exposition Miró à la Galerie Maeght, rue Saint Merri, 1993
En 1953, l’architecte catalan José Luis Sert bâtit l’atelier de Miró sur l’île de Majorque. Lors de la première visite des Maeght à la famille Miró à Palma, à la fin des années 1950, Aimé découvre la conception d’une architecture au service d’une idée. Devant cette construction d’un grand modernisme, Aimé se souvient avoir été impressionné par le pavillon espagnol de l’Exposition universelle de 1937 à Paris. Dans un bâtiment conçu par José Luis Sert, le public découvrait Le Paysan catalan en révolte peint in situ par Miró et Guernica, peinture monumentale de Picasso qui faisait face à la Fontaine de mercure de Calder. Sert sera l’architecte de la Fondation Maeght (1964), comme il sera celui de la Fondation Miró à Barcelone (1975). Et l’on retrouve dans ces lieux tout l’esprit du maître catalan. À la Galerie comme à la Fondation, les expositions se succèdent, présentant peintures, sculptures, gravures, tapisseries, céramiques et éditions…
Joan Miró à la Fondation Maeght, 1971
Joan Miró, Gargouille, 1968
L’appétit de Miró pour tout nouveau support est insatiable. Aimé le soutient et met tous les moyens techniques à sa disposition. Chaque année il séjourne plusieurs mois à Saint-Paul chez les Maeght. Aimé y fait construire des ateliers de gravures et de céramique, équipés de fours traditionnels coréens. Miró s’y sent chez lui. En hommage aux artisans et au matériel mis à sa disposition, il baptise l’extraordinaire presse du nom de sa femme, «La Pilar». Pour le génie catalan, Adrien aménage encore, à Paris, un atelier dédié aux estampes. Miró fut, sans aucun doute, le plus prolixe des graveurs, possédant mieux que quiconque cette intelligence et cet instinct du métier. Au total, plus de mille cinq cents titres de gravures et de lithographies sortiront des presses Maeght dont l’insolite Adonides, ouvrage né de la complicité et de l’harmonie avec son ami Prévert. Les familles, enfants et petits-enfants du poète, du peintre et des Maeght, se retrouvent tous les ans à Saint-Paul.
Joan Miró réalisant une eau-forte originale dans le jardin à Saint-Paul, 1973
Parler seul, livre de bibliophilie de Joan Miro et Tristan Tzara publié en 1948 par Maeght Editeur, Paris
Florence et Yoyo Maeght avec Joan Miro au Mas Bernard, 1971
Yoyo Maeght et Joan Miró à la Fondation Maeght, juillet 1966
L’été 1968, en bateau au large du Cap d’Antibes, Miró immerge une céramique monumentale en hommage à la Déesse de la Mer. En 1978, avec sa générosité habituelle, il fait don de deux cent vingt dessins récents à trois collections qui lui sont chères: la Fondation Marguerite et Aimé Maeght, le Centre Georges-Pompidou et la Fondation Miró, à Barcelone.
Aimé Maeght et Joan Miró lors de l'immersion de la Déesse de la Mer au large d'Antibes, 1968
Durant l’été 1979, la Fondation lui consacre une rétrospective pour célébrer ses quatre-vingt-cinq ans. Lors du vernissage, est dévoilé son vitrail monumental, le premier de l’artiste, installé sur une terrasse couverte de la Fondation. Dans le Labyrinthe de Miró, La Claca, troupe catalane, interprète Mori el Merma, farce ubuesque dont Miró s’amuse. Il s’est appliqué à peindre décors et costumes, un travail violent, jaillissant de couleurs en colère.
Vue du spectacle, Mori el Merma, farce interprétée par la troupe catalane, La Claca, avec des décors et des costumes de Joan Miro, Fondation Maeght.
Vue du spectacle, Mori el Merma, farce interprétée par la troupe catalane, La Claca, avec des décors et des costumes de Joan Miro, Fondation Maeght.
L’ultime exposition de son vivant est présentée par Adrien en 1983, accompagnée d’un texte d’André Frénaud. La vie de cet enchanteur s’écrit comme une poésie. Il meurt le soir de Noël 1983
«Joan Miró a, dans son abord, quelque chose de simple, de vrai et de naturel, qu’on doit retrouver dans sa fantaisie plastique et qui certainement constitue son charme. Ces traits sinueux, ces formes flottantes, ces vives taches de couleur n’ont rien de concerté: le hasard semble-t-il les a disposés, mais c’est un hasard heureux, gracieux et dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître une intention; il y a là une présence, et une présence pleine d’intelligence et de gentillesse.» Jean Cassou, Derrière Le Miroir, 1948.
Joan Miro, À Adrien Maeght, en hommage à son travail, 12 mai 1965, pastel gras sur papier, 37x28,5cm
«Je songe à Miró à travers les lourds séismes de l’esprit qui laissent en ce temps mille fentes après leur passage sans qu’un seul morceau d’univers se détache formellement. Épave grondante, figure sculptée, table placide ne roulent plus au loin, ne sont que crevasses et promesses fixées. J’évoque Miró, habitant de la ferme au-dessus, peignant, gravant et s’affairant, à ras de la paroi rocheuse féerique. Peintre guilleret et dépouillé d’habitudes. Sur la roue aiguisante du bonheur il est le semeur d’indemnités et d’étincelles. Et dans les plis du deuil il a des beautés pour ranimer Osiris. Depuis longtemps déjà, à ce forain subtil, la mécanique céleste a montré ses frondaisons, son labyrinthe et ses manèges. Et ce 12 avril 1961 je sais Miró avantagé. Mieux faire qu’un météore n’est pas faire grand-chose quand on ne brûle pas. Miró flambe, court, nous donne et flambe.» René Char, Derrière Le Miroir, 1961.
Joan Miró dans son atelier, Barcelone, 1950
Joan Miró, Pour les 70 ans d’Aimé, 1975, mixed media sur papier, 61x42cm
«1950. Un soir, avenue de Messine, Miró me dit: “Il faut que nous reprenions la céramique. Tout le monde s’y adonne et la plupart s’y cassent les reins ou plutôt ne s’y cassent rien du tout. Il leur su·t de continuer à faire de la peinture, sans se préoccuper des particularités de la céramique, des matières, des couleurs, des émaux, surtout de la nature et de l’esprit même de cet art. Tout au plus, dans le domaine des formes, se sont-ils risqués à quelques déformations, sans pour autant créer des formes nouvelles. Il est temps de porter un coup. Il faut dès maintenant songer à préparer une exposition de nos travaux de céramique.”» Josep Llorens Artigas, Derrière Le Miroir, 1956
Joan Miró, Grand Personnage en cours, 1956, céramique
Josep Llorens Artigas, ami et céramiste de Joan Miro
Le livre La Saga Maeght par Yoyo Maeght, avec dédicace. Lien ici
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