Anne Emery par Pierre Wat
Vestiges de la sensation- acrylique et huile sur toile 73 x 92 cm - 2012- (La croix troisième série de quatre)
Vestiges de la sensation par Pierre Wat
Ici, chaque tableau est comme un piège où il est bon de se laisser prendre, mais aussi frustrant, en même temps. Parce que l’espace y semble accueillant, doux même, parfois, comme un nuage d’ouate rose, pour devenir soudain plan et impénétrable, façon de réveiller ceux qui se sont pris à rêver d’un tableau où l’on puisse s’abriter.
« Je joue, dit Anne Emery, entre l’abstrait et le représenté. » : on aimerait plutôt dire – nous qui sommes joués par ses travaux – qu’elle oscille surtout entre l’absence et l’incarnation. Tantôt la peinture se fait chair, ou, du moins, sensation tactile de la présence humaine, tantôt, oui, elle est vraiment abstraite : pure peinture nous rappelant que même l’art le plus mimétique ne saurait évoquer l’insaisissable réel que sur le mode de l’absence.
S’il fallait trouver une image, pour tenter de nommer ce que l’on éprouve devant ses tableaux, les grands comme les petits, ce serait sans doute celle de la caverne, tant ici l’espace est un creux, dans lequel on aspire à pénétrer. Mais aujourd’hui, Anne Emery laisse traîner d’étranges formes dans cette grotte attirante : fragments d’os, lambeaux de motifs, voiles de peinture dont on ne sait s’ils cachent ou dévoilent, qui sont autant de vestiges du monde, et de ses sensations. Vestiges comme pour dire à qui regarde que s’il se laisse prendre au piège il vivra en même temps la jouissance de la saisie et l’expérience de la perte : comme une douce et frustrante leçon de peinture.