Aki Kuroda - Yoyo Maeght, 45 ans d'amitié

 

Aki Kuroda - Yoyo Maeght, 45 ans d'amitié

Tout a commencé par un hasard – ou plutôt, par un signe du destin en ce jour de 1980. Marguerite Duras est attablée en terrasse de la rue Saint-Benoît. Alors que nous bavardons, elle fait signe à un nonchalant Asiatique qui déambule dans cette rue de Saint-Germain-des-Près, quartier des éditeurs et des galeries d’art.

Il s’approche, presque timide, nous échangeons quelques mots, les regards pétillent, les rires fusent, trois jours plus tard, je pousse la porte de son atelier. Un choc face à ces immenses toiles d’un noir intense. Aki, au lieu de me parler de ses créations, évoque les Surréalistes découverts dans son enfance à la faveur de revues confidentielles que son père, grand érudit, recevait à Kyoto.

De ces Surréalistes, j’aime me remémorer ce que mon grand-père, Aimé Maeght, m’en racontait, comme les truculentes anecdotes sur l’exposition qu’il organisât avec André Breton et Marcel Duchamp, en 1947, dans sa jeune galerie parisienne. Elle réunira tout ce que le mouvement du Surréalisme comptait alors de remarquable internationalement et, plus que tout, elle marquera le début des relations tant amicales que professionnelles avec Joan Miró, Alberto Giacometti ou Alexander Calder. Tous trois participeront ardemment à l’élaboration de la Fondation Maeght, création de mon grand-père inaugurée en 1964 par André Malraux, première fondation française dédiée exclusivement à l’art contemporain.

En 1980, je suis là, dans l’atelier d’Aki, avec la fougue de mes vingt ans ! Une première exposition personnelle est programmée pour le printemps à la Galerie Maeght. Marguerite Duras signe "Les Ténèbres d’Aki Kuroda", texte du catalogue, témoin de leur complicité. Comme elle saisit bien et exprime avec justesse toute la subtilité asiatique de l’œuvre. C’est quatre ans plus tard, avec "L’Amant", roman sur sa jeunesse et son amour d’un élégant Asiatique, mais là chinois, que Marguerite Duras recevra le Prix Goncourt et le Prix Hemingway.

Le soir du vernissage, Aki et moi ignorons que vient de se sceller une amitié indéfectible. Je ne m’éloignerai plus jamais de lui, tant de l’œuvre que de l’artiste. Chaque jour, il m’entraine dans sa cosmogonie. Depuis, c'est un bonheur sans cesse renouvelé que de se retrouver dans son studio pour échafauder les expositions, inventer les performances, décider des éditions, oser les désirs ou défier les lois de la gravité artistique.

Quarante-cinq années que nous marchons ensemble. Comme deux gamins audacieux, nous traversons les époques, les modes, en gardant cette soif d’audace, ce goût du défi. Il faut dire qu’avec lui, l’impossible devient un sport quotidien, quand je regarde, rétrospectivement tout ce que nous avons fait ensemble, j'ai le vertige, je me demande même comment nous avons trouvé le temps et l'énergie de concevoir plus de soixante expositions et autant d'évènements. Comment Aki a su réaliser pour la Ville de Paris une peinture monumentale aux abords du Ministère de la Culture, être le premier artiste à avoir de son vivant une rétrospective au National Tokyo Museum, agrémenter d’œuvres in situ les architectures de Tadao Ando, emprunter à l’Agence Française de l’Espace des éléments de la fusée Ariane pour une performance, investir tout un bâtiment pour la Biennale de Sao Paulo, succéder à Picasso pour réaliser les décors du ballet "Parade" du chorégraphe Angelin Preljocaj pour l’Opéra de Paris et le Festival de théâtre d’Avignon, élaborer des œuvres avec les plus grands astrophysiciens, Hubert Reeves ou Jean-Pierre Biebring, illustrer l’écrivain à succès Pascal Quignard, accrocher des toiles monumentales dans une église baroque de la Cité des Papes d’Avignon, éditer une revue littéraire et artistique, présenter au Centre Pompidou le spectacle "Passage de l’Heure bleue", être adoubé par les musées chinois : Doland de Shanghai, TS1 de Pékin, cacher des toiles qui ne seront accessibles qu’en suivant, dans le noir, un fil d’Ariane au fond d’une carrière de pierres des bords de Seine et que dire du challenge que de présenter un one man show d’un Japonais au Beijing Imperial Museum de la Cité Interdite…

Dans son Œuvre globale, qu'il nomme Cosmogarden, les sujets, les thèmes apparaissent, s’éclipsent et resurgissent au cours du temps, au fil des années, sans soucis de chronologie. C’est pourquoi les dates de réalisation n’ont, pour lui, aucune importance. On y croise Ophélia, échappée de l’imaginaire de Shakespeare, mais aussi un éléphant bleu, emblème d’une nature encore sauvage, plus loin Alice croise le lapin du pays des merveilles, ici le Minotaure veille, les planètes se baladent, le fil d’Ariane nous guide au travers du labyrinthe, de mystérieux animaux survolent des villes qui surgissent de la nuit spatiale et s’organisent pour que la figure humaine trouve sa place dans leurs méandres et, enfin, nous découvrons ces visages médusés dans ses autoportraits. Tous se côtoient dans des espaces qui se chevauchent et parfois s’entrechoquent. Nous entrons avec enthousiasme dans cet univers, peut-être à la recherche de notre propre cosmos intérieur.

Aki ne peint pas seulement des toiles, il crée des mondes, des passages, des labyrinthes où l’on se perd pour mieux se retrouver.

Pour son exposition au Château de Malleret, Aki nous offre toute sa fraicheur et son émerveillement juvénile dans un foisonnement d'éléments qui se jouent de l’espace-temps, du cosmos, de l’univers ou de la réalité afin de nous préparer au plus artistique et créatif des futurs.

Quarante-cinq ans d’amitié, d’aventures artistiques, de fous rires et d’expositions improbables. Et ce n’est pas fini. L’histoire continue, car avec Aki, le voyage ne s’arrête jamais.

Yoyo Maeght, Paris 2024