Yoyo Maeght - Chevalier du Tastevin
J'ai eu le privilège et l'honneur de présider un "Chapitre" de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin au Château du Clos de Vougeot.Voici mon discours.
"Chers amis, je suis très émue, ici devant vous, car je ne m'attendais pas à une telle convivialité, une telle gentillesse, un tel humour et une telle qualité si française.
Si j'avais soupçonné cela, j'aurais écris un discours plus amical et joyeux, hélas, n'étant pas douée pour l'improvisation, je ne peux que lire les lignes déjà écrites, vous me pardonnerez alors ces mots quelque peu formels."
"Monsieur le Grand Connétable, Mesdames et Messieurs les Confrères des Chevaliers du Tastevin, Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un réel honneur et une grande joie d’être parmi vous dans ce lieu majestueux et prestigieux qu’est le château du Clos de Vougeot et d'y présider ce Chapitre des Arts,
Je tiens à remercier Caroline Parent-Gros et Corinne Robert-Béthune qui m'ont parrainées ainsi que Françoise Grosbois et dire toute ma reconnaissance à Louis-Marc Chevignard, Grand Connétable, qui a eu la gentillesse de m’inviter à présider ce Chapitre, je suis admirative de l'excellence avec laquelle il anime, depuis de nombreuses années, les activités de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin.
Que j'aimerais dire "bonsoir Ma Bourgogne", hélas, je ne suis qu'une apatride ! Élevée entre Paris et Saint-Paul-de-Vence.
C'est à Saint-Paul que Prévert et Malraux m'ont appris à écrire, que j'ai été choyée par Yves Montand et Lino Ventura et éveillée à l'art par Miró, Braque ou Chagall. Ah mais non, je me trompe, ce sont les peintres et les architectes qui m'ont choyée, les comédiens qui m'ont appris à lire, écrire et… à jouer au poker, les écrivains qui m'offraient des tubes de couleur, ou quelque chose comme ça, ou peut-être l'inverse, mais assurément dans un joyeux désordre si dadaïste ou surréaliste et incontestablement toujours dans l'exigence qui caractérisait mon génial grand-père, Aimé Maeght.
Le vin est un sujet de choix pour les peintres, attirés tout autant par la beauté des bouteilles, qui ont en commun avec les femmes la sensualité de leurs formes, que par la symbolique de l'ivresse, du plaisir et de la convivialité. Les génies de l'histoire de l'art et notamment ceux du XXe siècle ont ponctué leurs œuvres de bouteilles de vin. Derain, Cézanne, Le Corbusier, Morandi, Dufy ou Juan Gris et, bien sûr, les maîtres du cubisme Braque et Picasso.
J'ai dressé une curieuse liste qui peut étonner : Giacometti était Suisse, Modigliani Italien, Francis Bacon Anglais, Picabia Espagnol, Foujita Japonais, Brancusi Roumain, Chagall et Kandinsky Russes, ces maîtres sont maintenant indissociables de l'histoire de l'art mondiale, mais tous avaient choisis la France pour vivre et travailler. Tiens, tiens, c'est curieux ils étaient tous amateurs de grands crus !
La France aurait-elle attiré autant de talents étrangers sans les vins de Bourgogne ?
On peut se poser la question.
Ces créateurs sont incontestablement de grands épicuriens. Il semblerait que le meilleur des vins coule dans leurs veines et guide leurs talentueuses mains.
Souvent, pour ne pas dire toujours, les expositions, les livres, les projets naissent autour d'une bonne bouteille.
Mon Papy et les artistes voulaient que je connaisse tout ce que la nature et l'homme sont capables de créer et sublimer. Ils m'ont donné l'envie des belles et bonnes choses. Très tôt, j'ai eu goût pour le vin. La cave de mes grands-parents regorgeait de chefs-d'œuvre dont le velours me ravissait les papilles. J'étais la seule des petits-enfants d'Aimé à aimer lever le coude avec lui. Je connaissais aussi chaque recoin d'une autre cave, célèbre auprès des célébrités, puisque celle de l'auberge de mon parrain, la fameuse "Colombe d'Or", à Saint-Paul-de-Vence.
Sur ses collines du midi, mon Papy produisait une piquette qu'il appelait son couillotin et qu'il nous servait sous les pins et chênes de son mas qui domine la devenue mondialement connue et reconnue Fondation Maeght. J'avais vite trouvé l'échappatoire pour supporter ce tord-boyaux, j'excellais en pêches au vin, fragole nel vino, framboises dans leur robe rouge et autres abricots en couillotine. Bref je mangeais ce vin plutôt que de le boire.
Par chance et amour de l'art, ce vin ensoleillé donnait à mon grand-père, aussi et bien sûr, l'occasion d'associer les artistes à ses passions. C'est ainsi que, dès 1958, les peintres furent sollicités pour réaliser en lithographie originale les étiquettes du vin du Mas Bernard. Braque, Ubac, Steinberg, Miró.
Mon père a continué l'aventure et les artistes d'une nouvelle génération ont orné nos bouteilles de leurs magnifiques lithos, Aki Kuroda, Jan Voss, Folon, Arroyo et, celui que je continue de pleurer, Wolinski, assassiné quelques jours après avoir réveillonné chez nous à Saint-Paul-de-Vence. Qu'il serait fier que je sois là ce soir. Combien de déjeuners se terminant à la nuit, avons-nous passé ensemble, prétextant refaire le monde afin de rester attablés à notre QG du 14e arrondissement, notre cher bistrot : "Le vin des rues" ?
Prévert me donne mon prénom, ma grand-mère maternelle me fait jouer avec les étiquettes de vins et spiritueux qu'elle avait conservées de ses anciens bars qu'elle tenait aux Halles de Paris, Papy me confie les clefs de sa cave, aussi, à 24 ans, il fut comme une évidence que ma liste de mariage, devait être constituée exclusivement de grands vins. J'avoue que la Bourgogne y avait une place privilégiée, une obligation pour célébrer un "Saint-Amour".
Il ne me manquait que l'événement d'aujourd'hui pour tomber définitivement éperdument amoureuse de la Bourgogne.
Je l'ai souvent survolée en hélicoptère, pour rejoindre la Côte d'Azur. Curieusement les performances de mes machines, que j'aime qualifier des plus rapides à condition de ne pas être pressée, ces performances chutaient brutalement dans cette région, car plus de ligne droite, me voilà serpentant d'un coteau à l'autre, repartant à l'est pour admirer ce vignoble, revenant, attirée par ce clocher émergeant des vignes. Je vis dans une œuvre totale, je vole dans la plus belle des peintures cubistes où les lignes se succèdent dans un savant enchevêtrement.
Quel artiste talentueux en a tracé le plan ?
Cette merveille est une création ancestrale et collective qui nécessite tant d'attention, de travail et même de hasard pour exister et perdurer.
Les saisons, les années qui passent, les pierres blanches et la terre bénie, les caprices de la nature, l'astre solaire qui sublime les couleurs de la vigne, madame la lune qui rythme les nuits froides pour que les grappes émergent dans la brume du matin.
Mais plus que tout, cette région a été, et continue d'être, façonnée par des hommes et des femmes passionnés : vignerons, chef de culture, maître de chai, caviste, propriétaire récoltant, producteurs, œnologues ou simples ramasseurs de raisin, tous contribuent à faire de ce territoire un emblème de la qualité française, cette exception inégalable, enviée par la planète qui ne peut que jalouser sa renommée.
Je les remercie de poursuivre, avec tant de conviction, leur passion. S'il est question de passion, permettez-moi de clore ces quelques mots par une parole de Saint Augustin qui guide ma vie.
Celui qui se perd dans sa passion a moins perdu que celui qui perd sa passion.
Yoyo Maeght
28 novembre 2015