Presse - Yoyo Maeght : Mon grand-père, ce géant
Dans le livre qu'elle consacre à La Saga Maeght, Yoyo raconte le parcours lumineux de ses grands-parents, à l'origine d'une fondation qui célèbre à Saint-Paul cinquante ans d'art vivant.
Dans La Saga Maeght, Françoise, alias Yoyo, petite-fille des créateurs de la fondation dont elle porte le nom, règle ses comptes avec une partie de sa famille. Mais elle retrace surtout le fascinant destin d'Aimé Maeght, cet orphelin d'un cheminot du Nord, devenu le marchand et l'ami des plus grands artistes du XX siècle.
Vous avez grandi dans un luxe sans limite. Grâce à vos grands-parents, Aimé et Marguerite Maeght ...
Je nais en 1959. Quand j'ai sept ou huit ans, mes grands-parents ont déjà leur galerie depuis une vingtaine d'années. Leurs moyens financiers permettent de vivre dans un luxe magnifique. Ils résident avenue Foch, puis dans un immense appartement du VIIe arrondissement. Ils ont une Rolls avec chauffeur, ma grand-mère s'habille chez les grands couturiers. Voilà l'environnement dans lequel nous évoluons.
Une enfance heureuse ?
Isabelle, Florence et moi nous ennuyons beaucoup à l'école. Nous n'avons pas grand-chose à raconter aux enfants de notre âge. Dans notre quartier, toutes les petites filles sont habillées de bleu marine tandis que nous portons les jeans que nos grands-parents ou Calder rapportent de leurs voyages aux États-Unis. Le décalage est évident. Sans doute un peu moins pour notre petit frère Jules, de dix ans mon cadet.
Comment le voyez-vous, ce grand-père qui s'entoure des plus grands artistes de son temps ?
Miro passe tous ses étés à Saint-Paul. On nous dépose tous les jeudis, ou presque, chez Monsieur Braque, à l'heure du déjeuner. Nous sommes de tous les vernissages, les artistes nous appellent par nos prénoms. Nous n'avons pas conscience, dans notre enfance, de leur notoriété. C'est seulement à l'occasion de l'ouverture de la Fondation Maeght que nous réalisons à quel point ils sont importants.
Quel souvenir gardez-vous de l’inauguration ?
Je me souviens nettement d'André Malraux, qui était proche de mes grands-parents. Ma grand-mère le considérait même comme l'un des trois hommes de sa vie, avec son mari, bien sûr, et Alberto Giacometti. Je me rappelle aussi l'attention extraordinaire que les invités, ce soir-là, portent à Ella Fitzgerald. Et je suis surprise que l'on applaudisse autant Yves Montand. Pour moi, il est juste une sorte de "tonton". Celui qui m'apprend à nager dans la piscine de la Colombe d'Or.
Parmi tous les artistes présents, qui vous impressionne ?
Calder, énormément. Avec sa grosse voix, son fort accent et sa carrure d'armoire à glace. Dans un poème, Prévert le décrit comme un ours. C'est exactement cela. Ses œuvres sont pourtant d'une telle délicatesse ! Il fallait aussi le voir danser ... D'un seul coup, Calder se muait en petit rat de l'opéra !
Et Giacometti ? Vous effraie-t-il ?
Sa sculpture, pas du tout. Lui, en revanche, est un homme plus fermé, qui ne va pas vers les enfants. Il faut dire qu'à sa mort, je suis petite, je n'ai que cinq ans. J'ai mieux connu son frère Diego, que j'adorais.
Yoyo dans la cour Giacometti, à la Fondation Maeght
Aimé Maeght est à la pointe de la modernité. Cela vous semble naturel ?
Moderne, il le sera toute sa vie. Avec un goût prononcé pour les belles choses. Dans sa première galerie à Cannes, il met en vitrine des meubles qu'il dessine lui-même. A Paris, il vit avec du mobilier signé Charlotte Perriand ou André Arbus. Ou porte un col Mao avant l'heure ...
Le Corbusier, dites-vous, est persuadé de se voir confier son projet.
Absolument. Parce qu'il est très proche de Fernand Léger, papy le connaît très bien. Dans cette communauté artistique, où tout le monde se lie, Le Corbusier, qui est l'architecte le plus en vue, ne peut même pas imaginer que ce projet de fondation ne lui revienne pas. Mais mon grand-père, fidèle à ses principes, choisit Josep Lluis Sert, convaincu qu'il saura davantage se mettre au service des artistes.
En conclusion, que vous inspirent l'œuvre et la stature d'Aimé Maeght ?
Un immense respect. Je suis admirative de son incroyable ténacité. Son parcours prouve que rien ne résiste au travail, dès lors que l'on se fixe des objectifs, fussent-ils des rêves, des utopies. Mais si la Fondation est l'élément le plus visible de sa personnalité, pour moi, mon grand-père est avant tout l’éditeur de L'Art vivant. Cette revue est une véritable révolution.
Vous avez quitté la Fondation. La brouille est consommée ?
Un expert judiciaire est chargé de faire les comptes de l'indivision après la donation-partage décidée par mon père. On parle de millions d'euros. À ce jour, je ne dispose même pas des catalogues dédicacés par les artistes au cours de mon enfance. Mais je ne suis pas pressée. Je ne me plains de rien. Je vis dans un loft formidable en banlieue de Paris, avec sur les murs quelques lithographies de Miro ou de Giacometti qui, d'ailleurs, me sont réclamées. On me reproche d'être orgueilleuse ? Depuis ma démission, plus personne ne m'a vue à Saint-Paul. Je n'en souffre pas. Avec ce livre, je tourne une page.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC
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