.Figuration Narrative #1 - Par Yoyo Maeght
Narrative Figuration par Yoyo Maeght
Cette exposition, à la Richard Taittinger Gallery, est, pour moi, comme un merveilleux album de famille où chaque artiste est lié à un souvenir personnel, une amitié, une émotion artistique ou est le témoin de mon actuel engagement dans le monde l'art qui poursuit celui de mon illustre grand-père, Aimé Maeght.
Les États-Unis et les artistes de la Figuration Narrative sont intimement liés à la vie d'Aimé Maeght. On connaît mal ses passions, ses audaces, parfois même son activisme pour défendre et promouvoir l'art dans toutes ses expressions, alors en s'appuyant sur quelques repères historiques, partons dans cette formidable aventure de l'Art, de l'Art et de la vie.
Le 20 juin 1964, Robert Rauschenberg bouscule la vieille Europe en remportant le Grand Prix International de la Peinture à la Biennale de Venise, quelques jours plus tard, le 27 juillet, avec ma sœur Flo, sous les regards de Joan Miró, Alberto Giacometti ou Marc Chagall, entre autres, nous tendons une clef en or à André Malraux, alors ministre d'État du Général de Gaulle, clef en or qui ouvre les portes de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght qu'il vient inaugurer par amitié pour Aimé. James Baldwin et là et il lui est réservée une place d'honneur lors du diner de gala en le plaçant aux côtés d'Alberto Giacometti. Dans la douceur des nuits de la Riviera, tous applaudissent Ella Fitzgerald venue agrémenter cette soirée qui fera date dans l'aventure des Arts. La Fondation Maeght vient de naître et devient un des phares de l'art contemporain.
Aimé Maeght, homme d'actualité et d'engagement rappelle, par la présence de ces personnalités, que le 2 juillet, le Congrès des États-Unis a adopté le Civil Rights Act mettant fin à toute forme de ségrégation ou discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l'origine nationale. Le geste peut sembler politique, mais dans cette année 1964, l'expression artistique en Europe est clairement empreinte d'un propos politique fièrement affiché dans l'exposition Mythologies Quotidiennes inaugurée le 7 juillet, au Musée d'Art Moderne de Paris. Cette exposition tend à démontrer qu'il existe une autre forme de figuration que celle développée par les artistes du Pop-Art ou de la Nouvelle Figuration.
Quelques années plus tard, c'est à la Fondation Maeght qu'Aimé Maeght organise L'Art Vivant aux USA, réunissant toutes les expressions de la création artistique contemporaine. Les salles de la Fondation présentent des œuvres, entre autres, de Ellsworth Kelly ou Andy Warhol. Le soir venu, dans le Labyrinthe de Miró, les visiteurs découvrent de sulfureux films de l'underground new-yorkais, des performances de Carl Andre, Hans Haacke ou Robert Withman. Le public est subjugué par le Free Jazz de Albert Ayler, ou la musique minimaliste de Terry Riley et La Monte Young. Sun Ra et son Intergalactic Research Arkestra répondent aux interventions du chef d'orchestre Lukas Foss. Les danseurs de la Merce Cunningham Dance Company s'élancent sur les toits de la Fondation et dans la cour Giacometti, sur une musique de John Cage, dans des décors de Jasper Johns, Robert Morris et Frank Stella. La Fondation Maeght innove dans toutes les formes d'art, musique, danse, théâtre, arts plastiques, architecture…
Les relations entre mon grand-père et les USA datent de 1946, quand il se rend à New York pour rencontrer Marcel Duchamp. Il a une folle proposition à lui soumettre : faire la synthèse du surréalisme à Paris. C'est lors de ce voyage qu'il comprend que l'avenir de l'art ne pourra pas se jouer sans les Américains. Avec le jeune marchand new-yorkais Samuel Kootz, ils programment, pour 1947, l'exposition Introduction à la peinture moderne américaine qui, dans la galerie d'Aimé, rassemble, entre autres, des œuvres de Gottlieb, Baziotes, Motherwell. Première exposition d'art américain depuis la guerre dans la capitale française. L'exposition, placée sous le patronage des United States Information Services, est accompagnée d'un catalogue préfacé par le philosophe et critique d'art américain Harold Rosenberg. La critique parisienne sera virulente, Lettres françaises, célèbre revue du poète communiste Louis Aragon, demanderont si ces artistes ont étudié l'histoire de l'art. Mais Aimé Maeght s'en moque, il se fait un nom en Amérique et Time Magazine lui consacre son premier article. Dès lors, quasiment chacune de ses expositions y sera chroniquée, comme, évidemment, la première exposition personnelle d'Ellsworth Kelly à la Galerie Maeght en 1958, la seconde a lieu en 1964, elle est suivie par un group-show Cinq peintres et un Sculpteur qui révèle un tout jeune artiste de 24 ans : Gérard Fromanger, soutenu dans le catalogue par le poète Jacques Prévert. Gérard Fromanger rejoindra le mouvement de la Figuration Narrative et en deviendra l'un des acteurs majeurs, salué par de magistrales expositions au Centre Pompidou de Paris, 1980 et 2016.
Aimé Maeght, attiré par le renouvellement et la fraicheur de la pensée, fusse-t-elle révolutionnaire, n'a de cesse de donner aux artistes émergeants les moyens de s'exprimer, que ce soit à la Fondation Maeght, dans ses galeries ou via ses éditions, magazines, estampes, ou livres. Conscient que les groupes, écoles ou tendances sont en réalité composés de fortes individualités, il privilégie d'offrir aux artistes des expositions personnelles. Comme ce sera le cas avec l'Italien Valerio Adami qu'il exposera cinq fois dans sa galerie de Paris, dès 1970.
En Espagne, sous la dictature de Franco, les artistes qui collaborent avec Maeght, fuient la censure et viennent travailler à Paris, Miró, Tàpies, Palazuelo, Chillida. En1974, la démocratie espagnole a ses premiers balbutiements, c'est, pour Aimé, le moment propice à la mise en place d’une galerie en Catalogne. Eduardo Arroyo, sera ainsi soutenu par la Galerie Maeght de Barcelone. En 2017, dans le prolongement de l'action d'Aimé, la Fondation Maeght offre à Eduardo Arroyo une rétrospective qui le consacre internationalement.
Jacques Monory, lui, a débuté à la Galerie Maeght de Paris en 1976, de nombreuses expositions s'en suivront, y compris à la Fondation Maeght dont une importante rétrospective en 2020, qui fait suite à l'exposition monographiques de Jacques Monory proposée par la Richard Taittinger Gallery. Première exposition aux États-Unis pour cet artiste qui puise une partie de son inspiration dans les romans et films noirs américains.
Pour Aimé Maeght, les éditions tenaient une place importante dans la diffusion et la notoriété des artistes. Ainsi en 1976, c'est par la publication d'estampes qu'Hervé Télémaque débute sa collaboration avec Maeght, relayée ensuite par des expositions. Bien sûr, une impressionnante peinture est venue enrichir les collections de la Fondation Maeght.
La revue mensuelle L'Art Vivant, éditée par Maeght, dont le premier numéro paraît en 1968, année de toutes les contestations en France, ouvre largement ses colonnes aux nouvelles expressions, pourtant, sous la direction de Jean Clair, la principale revue multi-expressions en France, n'en oublie pas la peinture. Art Vivant devient le relai, voire la vitrine de la Figuration Narrative et offre aux artistes une plateforme d'échanges avec leurs contradicteurs : critiques d'art, performers et autres adeptes de la dématérialisation de l'art. Les échanges, totalement libres, sont parfois violents. L'histoire et l'exposition présentée par Richard Taittinger à New York offrent, cinquante ans plus tard, la plus belle des réponses. Que vive la peinture quand elle est d'une aussi grande qualité, tant par le propos sociologique, politique et bien sûr artistique !
Sensibilisée dès mon enfance à l'Œuvre de ces figures tutélaires de la Figuration Narrative, puis convaincue de la qualité de chacun de ces neuf artistes majeurs, Jacques Monory, Bernard Rancillac, Erró, Peter Saul, Valerio Adami, Hervé Télémaque, Eduardo Arroyo, Gérard Fromanger et Cybele Varela, c'est un bonheur et un honneur pour moi que de participer à l'élaboration de cette première exposition américaine consacrée à la Figuration Narrative mouvement pictural riche de personnalités diverses, venant d'horizon extrêmement variés, mais surtout, moment de création devenu incontournable de l'Histoire de l'Art.
Certains artistes m'ont accompagnée durant ces semaines de préparation. Je les remercie de leurs témoignages d'amitié qui prouvent, s'il en était besoin, que les grands artistes sont aussi de grands hommes et de grandes femmes.
Yoyo Maeght, Paris, 2021.
Le dossier complet de l'exposition ici
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